
Le Pacte Dutreil, prévu à l’article 787 B du CGI, est un régime fiscal de faveur destiné à faciliter la transmission des entreprises, notamment familiales. Il permet, sous conditions, une exonération partielle des droits de donation ou de succession à hauteur de 75 % de la valeur des titres transmis. Ce mécanisme repose sur un engagement collectif de conservation préalable des titres pendant deux ans, suivi d’un engagement individuel de conservation pendant quatre ans minimum par les donataires ou héritiers.
L’objectif affiché du législateur est de préserver la pérennité des entreprises transmises, en limitant le poids fiscal de la transmission, qui pourrait sinon fragiliser la structure financière de l’entreprise ou dissuader la reprise par les générations suivantes. En contrepartie de cet avantage, les bénéficiaires doivent respecter des conditions strictes tenant à l'activité de l’entreprise, à la détention du capital et à l’implication effective des dirigeants.
Parmi les conditions les plus sensibles, figure l’exigence selon laquelle la société doit exercer une activité principalement opérationnelle. En sont exclues les sociétés civiles patrimoniales ou les structures ayant pour objet la seule détention ou gestion de titres. Lorsqu'une holding est interposée, cette dernière ne peut être éligible au dispositif que si elle anime effectivement son groupe. Deux décisions rendues en 2025 sont venues illustrer l’interprétation particulièrement rigoureuse de ces conditions par les juridictions d’appel.
Dans un arrêt du 28 mars 2025, la Cour d’appel de Saint-Denis a rappelé avec force que le bénéfice du Pacte Dutreil suppose que la holding soit animatrice. Cette exigence, issue tant de la doctrine administrative que de la jurisprudence, implique une implication active de la holding dans la conduite de la politique de ses filiales, au-delà de la simple détention de participations ou de la fourniture de prestations ponctuelles.
Dans l’affaire jugée, l’administration avait refusé l’application du régime Dutreil au motif que la société holding ne démontrait pas le caractère animateur requis. La Cour d’appel a confirmé cette position, considérant que l’absence de preuves concrètes d’une animation stratégique rendait la société inéligible au régime. Le jugement rappelle que l’animation ne peut être présumée : elle doit être démontrée par un faisceau d’indices objectifs, établissant que la holding exerce une influence effective et régulière sur les décisions du groupe.
La Cour a estimé que la seule réalisation de prestations administratives ou financières au profit des filiales ne suffit pas, en l’absence d’autres éléments significatifs. Pour caractériser une véritable animation, les contribuables doivent démontrer, par exemple :
La documentation est ici essentielle : statuts, conventions d’animation intra-groupe, procès-verbaux de réunions, rapports de suivi, ou encore échanges internes doivent démontrer le rôle moteur de la holding.
👉 En pratique, les dirigeants doivent anticiper et formaliser cette animation, notamment au travers :
En l’absence d’une telle démonstration, les juridictions n’hésitent pas à remettre en cause le bénéfice de l’exonération, comme le montre cet arrêt.
Le second apport jurisprudentiel majeur de l’année concerne la prise en compte de la trésorerie excédentaire dans l’appréciation de l’activité principale de l’entreprise. Dans un arrêt du 13 janvier 2025, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’une société commerciale, dont plus de 90 % du bilan était constitué de liquidités et placements financiers, ne pouvait être regardée comme exerçant une activité principalement opérationnelle.
En l’espèce, l’entreprise de production en question avait accumulé d’importantes réserves issues de bénéfices non distribués. Ces fonds étaient en majorité investis en valeurs mobilières de placement (78 % du bilan) et, pour une part complémentaire, en projets d’énergie renouvelable (13 % du bilan), alors que l’activité industrielle nécessitait peu de capitaux.
La Cour a jugé que, indépendamment de leur origine, la taille excessive de la trésorerie et sa déconnexion des besoins réels de l’activité traduisent une activité patrimoniale. Ce raisonnement s’écarte de la position de la Cour de cassation (arrêt du 24 avril 2024), qui avait estimé que l’origine des liquidités (issue de l’exploitation) devait être prise en compte.
La Cour d’appel de Paris privilégie ici une approche substantielle et économique : lorsque l’actif est massivement constitué de placements financiers, l’activité principale ne peut plus être qualifiée d’opérationnelle. Cette analyse peut conduire à une requalification partielle de l’entreprise, rendant une part de ses titres inéligible au Pacte Dutreil, voire à un refus total du bénéfice du régime.
Les décisions commentées imposent une vigilance accrue aux praticiens et aux contribuables.
En cas d’interposition d’une holding, il est impératif de démontrer une animation effective du groupe. Il ne suffit pas de se revendiquer "animatrice" : il faut pouvoir en apporter la preuve concrète, documentée et soutenue. Il est vivement recommandé :
Pour les entreprises disposant d’une trésorerie importante, une analyse critique du bilan s’impose. Il est essentiel de pouvoir justifier :
Dans certains cas, il pourra être pertinent de réduire la trésorerie avant la transmission, par distribution ou réaffectation stratégique, afin d’éviter toute assimilation à une activité de gestion patrimoniale.
Le régime Dutreil conserve toute sa pertinence pour optimiser la transmission d’entreprises, mais il est de plus en plus strictement encadré. Les arrêts rendus en 2025 témoignent d’un resserrement de l’analyse jurisprudentielle, tant en ce qui concerne le rôle des holdings que la nature de l’actif de l’entreprise.
Il appartient aux dirigeants, accompagnés de leurs conseils, d’adopter une approche rigoureuse, documentée et anticipée pour sécuriser les opérations. À défaut, l’administration – soutenue par les juridictions – pourrait remettre en cause les exonérations et exposer les transmissions à une charge fiscale significative.