
La double casquette des managers (salarié ou dirigeant d’un côté et actionnaire de l’autre) peut conduire à s’interroger sur la nature du gain à la sortie : s’agit-il d’une plus-value ou d’un salaire sachant que ce dernier est moins bien traité aussi bien sur le plan fiscal que social.
Au plan fiscal, la situation s’est durcie depuis le revirement de jurisprudence intervenu le 13 juillet 2021 (confirmé depuis).
ll ressort de ces arrêts que le gain réalisé par un manager pourra être requalifié en salaires lorsqu’il trouve sa source dans les fonctions de salarié ou de dirigeant. Les juges vont ainsi s’appuyer sur un faisceau d’indices pour démontrer l’existence d’un tel lien (notamment la présence d’une clause de leaver,d’une incessibilité des titres ou encore les termes utilisés dans les accords contractuels permettant d’établir un lien entre les fonctions de salarié / dirigeant et la possibilité de souscrire à ces valeurs mobilières).
Au plan social, on constate, depuis quelque temps, un intérêt de l’URSSAF pour les dispositifs d’actionnariat salarié mis en place dans le cadre d’opérations de leverage buy-out (LBO). Cette nouvelle tendance a conduit les cours d’appel de Douai et de Paris puis la Cour de Cassation (2e Civ., 4 avril 2019, n°17-24.470) à se prononcer sur les conditions de requalification des gains perçus par les managers en matière sociale.
Il ressort de ces arrêts que la requalification suppose de démontrer l’existence d’un lien entre l’investissement et les fonctions de salarié. En revanche, les conditions dans lesquelles l’investissement a été réalisé ne sont pas intégrées à la grille de lecture. La Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 28 septembre 2023 (2e Civ, n° 21-20.685) est venue confirmer cette jurisprudence tout en apportant des précisions qui ne vont pas dans le sens des managers et des entreprises sur qui pèse ce risque social.
Les faits de l’espèce étaient relativement simples : un nombre restreint de salariés et dirigeants avaient souscrit à des bons de souscription d’actions (BSA) leur permettant d’acquérir des titres d’une holding d’acquisition à un prix fixé à l’avance. Les managers ont exercé les BSA puis cédé les actions.
Selon la Cour de Cassation, les BSA constituent un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales dès lors "qu’ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, ces deux conditions étant cumulatives”.
Par cette solution, la Cour précise la notion de “conditions préférentielles”. Il semblerait que cette préférence résulte d’un faisceau d’indices comme par exemple le fait que la souscription soit réservée à un nombre restreint de managers ou encore les conditions d’émission et de cessibilité des titres.
En revanche, les conditions financières de souscription ne sont qu’un simple indice. Au cas d’espèce, le caractère préférentiel des conditions d’attribution a été reconnu dès lors que la souscription des BSA était réservée à un groupe de sept managers et que les BSA étaient incessibles. On notera enfin que le fait que deux des managers n’étaient plus salariés au moment de l’exercice n’empêche pas la reconnaissance d’un tel avantage.
La Cour de Cassation avait auparavant limité cette assiette à la valeur des actions au moment où le bénéficiaire en a la libre disposition. Les juges opèrent ici un revirement de jurisprudence en considérant que l’avantage correspond à la plus-value réalisée par le bénéficiaire à la date de l’exercice effectif de ses BSA (ou de la cession des BSA). C’est ainsi à cette date qu’intervient le fait générateur et donc le point de départ du délai de prescription.
A l’image des arrêts rendus en juillet 2021 en matière fiscale, les faits étudiés par la Cour de Cassation ne correspondent plus aux pratiques actuelles.
On peut néanmoins se demander si cette solution est transposable à la souscription par des managers à des actions (ordinaires ou de préférence).
A priori, le raisonnement semble transposable à ce type d’instruments en tout cas pour les schémas impliquant la souscription par des managers à des instruments leur permettant d’appréhender une partie de la plus-value réalisée par les investisseurs financiers (ex. ADP ratchet).
On noter que la loi de finances pour 2025 met un terme à ce débat en considérant que les titres acquis en contrepartie des fonctions de salarié et de dirigeant bénéficie d'une exonération de cotisations sociales (article 136-1-1 III a 3° du Code de la Sécurité Sociale).
[1] CAA Versailles, 3e ch, 28 janvier 2014 n°12VEO2246, Sté France Quick : des BSA avaient été octroyés gratuitement aux salariés d’une filiale par la holding. Cet avantage a été requalifié en salaire et soumis aux taxes sur les salaires.