
Dans certaines situations, la mise en place d'un groupe d'intégration fiscale n'est pas possible ou bien pas souhaitable comme par exemple en cas d'application de l'amendement Charasse (ce cas pouvant se rencontrer notamment dans des opérations d'OBO).
Plusieurs alternatives peuvent alors être envisagées afin d'obtenir une consolidation des profits et des pertes des différentes sociétés du groupe.
La fusion rapide est l’opération par laquelle une société holding fusionne avec une société dont elle a préalablement acquis les titres au moyen d’un endettement.
Sur le plan juridique, la fusion rapide permet à des repreneurs de ne financer la prise de contrôle de la société holding qu’à concurrence des fonds propres apportés à la société holding. Le remboursement des emprunts se fera directement grâce à la trésorerie de la cible et non grâce à la remontée des dividendes.
Toutefois, ce type d’opération présente un risque juridique compte tenu de l’interdiction faite à une société d’accorder des avances, des prêts ou des sûretés en vue de financer le rachat de ses propres titres (article L 225-216 du Code de commerce). En pratique, la doctrine considère que la fusion rapide ne peut être assimilée juridiquement à une avance, un prêt ou ayant été réalisée en vue de l’acquisition des titres, dès lors que cette opération intervient une fois l’acquisition réalisée. Il en serait autrement s’il était possible de démontrer l'existence d'une fraude à la loi et que l’opération n’avait aucune justification économique.
En présence d’associés minoritaires, l’opération de fusion rapide présente également un risque d’annulation pour abus de pouvoir ou abus de majorité.
Sur le plan fiscal, cette opération présente l’avantage, en comparaison avec un remboursement par remontée de dividendes, de ne pas donner lieu au paiement de la quote-part de frais et charges de 1% applicable dans le cadre du régime mère et fille et d'éviter tout risque de remise en cause de ce régime au regard de la clause anti-abus.
Le juge administratif a d’ailleurs considéré que la création d’une holding en vue de prendre le contrôle d’une société cible par le biais d’emprunts suivie d'une fusion ne constitue pas un abus de droit[1].
Il existe néanmoins un réel risque de remise en cause de l’opération par l'administration fiscale sur le fondement de l’acte anormal de gestion (lorsque la filiale absorbe la holding d’acquisition) ou sur le fondement de l’abus de droit.
L’administration fiscale s’appuie sur un faisceau d’indices pour remettre en cause ce type d’opération[2] :
En revanche, la circonstance que les deux sociétés aient formé (ou auraient pu former) un groupe fiscalement intégré est sans incidence au regard des critères d’appréciation des conditions de réalisation de l’opération.
L’administration a néanmoins publié un rescrit en 2007 (RES n°2007/48) autorisant les fusions de sociétés holdings sous réserve du respect des trois conditions suivantes :
En pratique, cette opération de fusion permet de simplifier l’organigramme juridique en cas de LBO successifs. Par ailleurs, cette simplification de la structure est susceptible d'avoir un impact sur la déductibilité des frais d’acquisition
A défaut de mettre en place un groupe d’intégration fiscale, il peut être envisagé de signer une convention de prestation de services entre la holding d’acquisition et la (ou les) filiale(s) aux termes de laquelle la société mère rendrait différentes prestations.
Ceci nécessite de la doter du personnel adéquat qui devra ainsi être éventuellement transféré depuis la société cible. Cette solution permettra ainsi de réduire le résultat fiscal de la société cible à hauteur des coûts de la prestation rendue par la holding d’acquisition.
Cette solution ne permettra pas de faire jouer à plein l’effet de levier fiscal dans le cas où la dette d’acquisition (et les intérêts) se révèle importante ce qui sera le cas dans des schémas de LBO. Elle présente toutefois un intérêt pour la récupération de la TVA, en particulier celle acquittée par la holding d'acquisition au titre des frais d'acquisition.
La technique du debt push-down est une opération consistant à faire porter tout ou partie de la dette d’acquisition par la société cible (et non seulement par la holding d’acquisition). Plus précisément, l’opération conduit à ce que la dette soit initialement souscrite par la holding d’acquisition avant que celle-ci soit transférée à sa ou ses filiales.
Plusieurs techniques permettent d’obtenir ce résultat :
Ces opérations conduisent à « faire descendre » la dette au niveau de la société cible permettant d’imputer les intérêts d’emprunt sur les produits de la société cible.
Cette opération peut également présenter un intérêt sur le plan financier. En effet, les termes de l’emprunt souscrit par la société cible peuvent s’avérer plus favorables puisque la société débitrice est directement propriétaire des actifs utilisés pour l’exploitation. Ainsi, dans cette hypothèse, en cas de difficultés, les banques pourront actionner les sûretés consenties par la société cible (ex. nantissement sur les comptes bancaires, nantissement sur le fonds de commerce, etc.).
Le recours à de telles opérations présente néanmoins de nombreuses problématiques juridiques et fiscales.
Sur le plan juridique, ce type d’opération présente un risque similaire à celui rencontré en matière de fusion rapide. Ce risque semble néanmoins écarté puisque le prêt souscrit par la société cible intervient postérieurement (et non antérieurement) à l’acquisition des titres par la holding d’acquisition[4].
Il est également possible de se demander si l’opération de financement à laquelle participe la société cible n’est pas contraire à son intérêt social.
Sur ce point, on peut noter qu’aucune disposition du Code Cvil ou du Code de Commerce n'interdit de recourir à l’emprunt afin de financer une distribution de dividendes ou un rachat de ses propres titres. Une telle décision ne pourrait alors être critiquable que dans l’hypothèse où elle conduirait à mettre en péril la société cible. Ainsi, avant de mettre en œuvre ce type d’opération, il convient de vérifier si celle-ci est économiquement viable. Dans le cas contraire, il pourrait être reproché aux dirigeants une faute de gestion conduisant à la mise en jeu de leur responsabilité civile voire justifier une action sur le terrain de l’abus de majorité.
Sur le plan fiscal, l’administration dispose classiquement de deux armes pour remettre en cause les modalités de financement des opérations de haut de bilan conduisant à la remise en cause de la déductibilité des charges financières supportées au titre de cette opération : l'acte anormal de gestion et l'abus de droit.
Les juges[5] ont rappelé à de nombreuses reprises le principe de liberté de choix du mode de financement. Le Comité de l'abus de droit fiscal a également posé le principe selon lequel « le choix de financement d'une opération par un prêt (...) au lieu d'un apport en capital ne caractérise pas en lui-même un abus de droit »[6].
Il existe néanmoins une limite à ce type d'opération. L’administration fiscale peut tout d’abord considérer que la décision d’emprunter pour financer cette distribution (ou le rachat des titres) n’a pas été réalisée dans l’intérêt de la société mais dans celui des actionnaires.
Il peut paraître étonnant d’appliquer la théorie de l’acte anormal de gestion à une décision prise par les actionnaires et non par la société elle-même. Toutefois, il semblerait que ce soit plutôt les modalités de financement de l’opération (et non l’opération elle-même) qui soient critiquées sur le fondement de cette théorie.
S’agissant du financement de la distribution d’un dividende, on peut noter que les juges ont admis la possibilité de contracter des emprunts afin de financer cette distribution[7].
S’agissant du rachat de titres, le Conseil d’État s’est déjà prononcé à deux reprises sur ce type d’opération en y apportant une réponse sibylline. Si les juges estiment que cette opération doit répondre à l’intérêt de la société, ils n’apportent toutefois pas de réel apport sur les cas où cet intérêt serait reconnu[8]. Cette position a été récemment reprise par le Conseil d'Etat (CE 29 mars 2024, n° 488430, Cofima)
Les positions des juridictions en matière de rachat de titres semblent ainsi être moins souples que celles adoptées en ce qui concerne la distribution de réserves. Cette différence pourrait s'expliquer par le fait que l'opération de distribution de dividendes va avoir pour effet de répartir de manière égalitaire les réserves ou les capitaux propres au profit des actionnaires alors qu'une opération de rachat de titres va modifier la structure de l'actionnariat et n'a donc pas, a priori, vocation à être dans l'intérêt de la société. Pour autant, on peut noter qu'il n’est pas exigé que cet intérêt soit exclusivement au profit de la société.
Alternativement, l’Administration fiscale peut aussi considérer que ce type d’opération présente un intérêt exclusivement fiscal. Ce sera le cas lorsqu’il est démontré que l’opération réalisée ne s’est pas traduite par une modification de la situation bilantielle de la société[9] lorsque l'opération ne se traduit par aucun mouvement de fonds financiers et que la dette n'a pas vocation à être remboursée[10].
En revanche, le Conseil d'Etat a affirmé que le choix de financer une distribution de dividendes par le recours à l'emprunt ne peut être regardé à lui seul comme constitutif d'un abus de droit[11].
Compte tenu de la position ambigüe des juridictions, de telles opérations appellent à une certaine prudence.
Les sociétés de personnes ne sont pas de plein droit soumises à l’impôt sur les sociétés. Le résultat fiscal est en effet imposé au niveau de leurs associés en application des règles régissant la détermination de leurs résultats. Ainsi, le résultat d’une société de personnes comme une société en nom collectif (SNC) n'ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés détenue par une société anonyme sera imposé au niveau de cette dernière à l'impôt sur les sociétés.
On arrive alors à une consolidation dite « sauvage » sans les contraintes imposées par la mise en place d’un régime d’intégration fiscale (comme par exemple la nécessité d'aligner les dates de clôture des sociétés du groupe ou la détention d'au moins 95%, directement ou indirectement, des filiales par la société mère).
Il y a ainsi une consolidation des profits de la société cible avec les pertes de la holding et une remontée du résultat de la société cible sans frottement fiscal.
La mise en place d’une telle consolidation « sauvage » nécessite de modifier la forme sociale de la société cible afin de lui permettre de relever du régime des sociétés de personnes. Par exemple, une holding d’acquisition faisant l ’acquisition d’une société anonyme pourra décider de transformer cette dernière en société en nom collectif ou en société en commandite simple (SCS).
Une telle transformation est toutefois assimilée fiscalement à une cessation d'activité entraînant, en principe, l'imposition des plus-values latentes et des bénéfices de l'exercice ainsi que la perte des reports déficitaires. Il existe néanmoins un régime fiscal de faveur permettant d'échapper, sous certaines conditions, à une telle imposition. En pratique, l'incidence majeure porte sur l'imposition immédiate des bénéfices mis en réserve (article 111 bis du CGI) avec cependant la possibilité de bénéficier du régime mère-fille dans l'hypothèse où la holding conserve les titres au moins 2 ans.
On peut néanmoins se demander si une telle opération est susceptible d’être remise en cause par l’administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit. Dans une décision du 15 février 2016[12], le Conseil d’État a écarté le risque d’abus de droit en jugeant que « l’option pour le régime fiscal des sociétés en nom collectif ne peut en tant que telle être regardée en l’espèce comme caractérisant la recherche du bénéfice d’une application littérale de l’article 8 du CGI à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs » dès lors que cet article est applicable aux associés personnes morales.
Le Conseil d'Etat rejette ainsi la qualification d'abus de droit en l'absence de contrariété de l'objectif du législateur[13]. Au surplus, le Conseil d'Etat précise que le but exclusivement fiscal n'est pas établi lorsque la SNC a poursuivi, après sa transformation, son activité économique et conservé sa nouvelle forme sociale.
[1] CAA Lyon, 26 mai 1992, n°90-102
[2]BOI-IS-FUS-10-40, 12 septembre 2012
[3]Une autre alternative consisterait à ce que la société cible rachète une partiede ses propres titres par le biais d’une réduction de capital. Une telle opération dite « opération de recap » présente un intérêt pour le fonds d’investissement qui pourra réduire le montant qu’il a investi et ainsi augmenter son taux de rendement interne lorsque les conditions de cession de sa participation ne sont pas réunies.
[4] C. Cass,15 novembre 1994, n°92-19.302
[5] CE, 30décembre 2003, n° 233894, SA Andritz ; CE, 3 décembre 2018, n°406617, StéManpower France Holding
[6] Comité de l'abus de droit fiscal, aff. n°2018-04 ; 2017-36
[7] CAANancy, 1er ch, 28 novembre 1991, SA Prunier ; TA Paris, 28 octobre 1998,n°94-1885, Van Ommeren Tankers
[8]CE 15 février 2016 n° 376739, SNC Pharmacie Saint-Gaudinoise : la société justifiait le rachat des droits sociaux par l’existence d’une mésentente entre les associés qui n’est pas établie au cas d’espèce selon les juges. Dans une autre affaire (CAA Versailles du 24 janvier 2012, n° 10VE03601, SAS Yoplait),l’opération de rachat de droits sociaux financée par un emprunt a en revanche été considérée comme présentant un intérêt pour la société au motif qu’elle s’inscrivait dans le processus de restructuration de la société dont ce rachat constituait l’ultime étape
[9]Avis du Comité de l'abus de droit fiscal, aff. n°2010-02
[10]CE, 13 janvier 2017, n°391196, SAS Ingram Micro
[11] CE, 3 décembre 2018, n°406617, Sté Manpower France Holding. Au cas d'espèce, une société avait décidé une distribution exceptionnelle de réserves et émis de manière concomitante une obligation remboursable en actions souscrite par le bénéficiaire de cette distribution. A contrario, le Comité de l'abus de droit fiscal a jugé que le choix du financement d'une opération par un prêt entre sociétés liées au lieu d'un apport en capital ne caractérise pas en lui-même un abus de droit. Il y a dans ce cas un financement réel apporté à la société (avis du comité de l'abus de droit fiscal, aff. 2017-36).
[12] CE 15février 2016, n°374071, SNC Distribution Leader Price
[13] On peut néanmoins remarquer que le Conseil d'Etat tend à présumer l'absence de conformité à l'objectif du législateur en présence d'un schéma fictif ou ayant un but exclusivement fiscal sur la base des décisions récentes (CE, 27septembre 2017, n°266050 ; CAA Paris 20 décembre 2018, n°17PA00747).