
Par principe, les intérêts d'emprunt sont déductibles du résultat fiscal d'une société dès lors qu'ils constituent des charges engagées dans son intérêt et que les modalités de financement sont conformes aux conditions de marché.
Certaines règles fiscales viennent néanmoins limiter la libre déductibilité de ces charges financières dans le cadre de financements intragroupe.
L’article 212, I du CGI prévoit ainsi que les intérêts servis à une entreprise liée sont déductibles dans la limite de ceux calculés d’après le taux prévu à l’article 39, 1, 3° du CGI (actuellement fixé à 5,87% pour les sociétés ayant clôturé leurs comptes au 30 décembre 2024) ou, s’il est supérieur, d’après le taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir auprès d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues (« taux de marché »).
C'est dans ce cas à l'entreprise (et non à l'administration fiscale) d'apporter la preuve que le taux pratiqué correspond bien au taux de marché soit au « taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ».
Ainsi, alors qu’un prêt consenti par un associé minoritaire viendra nécessairement limiter le taux d’intérêt au taux légal, il en sera autrement pour un associé contrôlant l’entreprise débitrice, puisque cet associé sera dans ce cas assimilé à une entreprise liée.
Se pose alors la question des éléments de preuve à apporter permettant de démontrer que le taux pratiqué constitue bien un taux de marché. Sur la base des travaux parlementaires ayant conduit au vote de cette disposition, la preuve est en principe libre[1].
Toutefois, l’Administration fiscale précise dans ses commentaires que la normalité du taux d’intérêt est démontrée « si l’entreprise justifie, par exemple, d'une offre de prêt à la date à laquelle cet emprunt a été contracté ».
Il apparaît que certains services vérificateurs, appuyés par la jurisprudence, retiennent une interprétation particulièrement stricte de cette doctrine administrative et considèrent que le contribuable souhaitant se prévaloir du taux de marché doit être en mesure de présenter une offre de prêt à des conditions similaires qui doit en outre être contemporaine au financement octroyé par l'entreprise liée.
Cette position est contestable dès lors qu’elle ne résulte pas des termes de la loi et a donné lieu à de nombreux contentieux.
Le Conseil d'Etat s'est depuis prononcé sur cette question (Avis CE, 11 juillet 2019, n°429426, SAS Wheelabrator sur demande du TA Versailles 4-4-2019 n° 1607393 et 1806803)
La société Wheelabrator France a souscrit en 2008 auprès de sa société mère anglaise un prêt pour une durée de sept ans portant intérêt au taux de 7,41%. Dans le cadre d’une vérification de comptabilité portant sur les années 2010, 2011, 2013, 2014 et 2015, l ’Administration fiscale a partiellement remis en cause la déductibilité des intérêts versés à sa société mère sur le fondement de l’article 39, 1, 3° et 212 du CGI. Pour sa défense, la société avait présenté plusieurs éléments de preuve et notamment des comparables issus du marché obligataire portant sur des entreprises présentant un profil financier similaire (notamment en termes de risques).
Le litige a été porté devant le Tribunal administratif de Montreuil qui avait déjà jugé que le contribuable sur qui repose la charge de la preuve quant au taux de marché a la faculté d’apporter la preuve par tout moyen. La preuve ne doit pas uniquement consister dans une offre de prêt consentie par un établissement ou organisme financier indépendant.
Ce point ne faisant plus débat, restait maintenant à déterminer les éléments de preuve permettent de démontrer le taux de marché. Le Tribunal administratif avait alors décidé de saisir le Conseil d’Etat compte tenu de l’enjeu de la question. En particulier, se posait la question de savoir s’il était possible de se prévaloir de références obligataires.
Après avoir posé le principe de liberté de la preuve, le Conseil d’Etat admet qu’une entreprise puisse tenir compte du rendement d’emprunts obligataires émis par des entreprises « se trouvant dans des conditions économiques comparables ». L’avis rendu par le Conseil d’Etat semble ainsi ouvrir la voie à une plus grande flexibilité dans l’analyse des éléments de preuve devant être apportés par le contribuable pour se prévaloir du taux de marché.
Cette flexibilité connait néanmoins une limite puisque le recours à des comparables obligataires constituerait certes un élément de preuve admis mais seulement s’il s’agit d’une alternative réaliste à un prêt intragroupe. On peut se demander si, à la lumière du concept « d’alternative réaliste » mentionné dans l’avis, il ne conviendrait pas de distinguer la situation d’une entreprise ayant facilement accès aux marchés financiers (notamment obligataires) de celles dont l’accès aux marchés peut être dans les faits fermé (comme la PME). Le Tribunal administratif de Versailles (TA Versailles, 6 déc. 2019, n°1607393, SAS Wheelabrator Group) a apporté un premier élément de réponse en considérant qu'une émission obligataire constitue une alternative réaliste dans la mesure où, dans un contexte de crise financière et en présence d’une société au fort risque de crédit, une banque n’aurait accepté de consentir un prêt qu’à la condition d’appliquer une prime de risque importante.
Pour autant, la situation n'apparait pas complètement stabilisée comme l'illustre certaines décisions rendues depuis cet arrêt qui ne sont pas favorables aux sociétés, le débat s'étant maintenant déplacé sur les modes de preuves admissibles.
En pratique, à défaut d’être en mesure de présenter une offre de prêt contemporaine à la conclusion de l’emprunt consenti par une entité liée, une société pourrait démontrer que le taux appliqué correspond à un taux de marché sur la base de comparables « obligataires » en préparant une étude (contemporaine ou non à la conclusion du prêt) appliquant la méthodologie suivante :
▶ Etape 1 - Détermination du profil de risque de la société emprunteuse
Ce profil doit être déterminé en prenant en compte les caractéristiques propres de la société et non de celles du groupe de sociétés auquel elle appartient (CE, 18 mars 2019, n°4111189,Siblu; CAA,10 mars 2020, n°18PA00608, SAS Apex Tool Group).
Ce profil de risque pourrait être déterminé en ayant recours à un logiciel de notation automatique ("logiciel de scoring"). L'administration fiscale dispose toujours de la possibilité de critiquer la méthodologie suivie pour obtenir la note de crédit en considérant que certaines des données retenues (par exemple le montant des dettes ou des créances de la société) sont erronées (CAA Paris, 17 mai 2024, n°22PA00072, Willink).
▶ Etape 2 - Recherche d’émissions obligataires pour une durée équivalente par des sociétés présentant un profil de risque similaire
Les entreprises servant de référence doivent présenter des caractéristiques comparables à l’entreprise. Pour autant, il n'est pas exigé que les comparables utilisés exercent dans le même secteur d'activité dès lors que "ces sociétés présentent un niveau de risque similaire, indépendamment du secteur d'activité auquel elles appartiennent" (CAA Paris, 17 mai 2024, n°22PA00072, Willink). En revanche, le secteur d'activité de l'entreprise (ou le secteur qui apparait le plus proche possible de son activité) doit obligatoirement être mentionné dans le logiciel puisque cette donnée aura un impact sur la notation définie par le logiciel.
On notera également que l'existence d'une option de conversion des obligations en actions suppose d'effectuer une correction lorsque ces obligations sont comparés à des obligations simples (CE 20 septembre 2022, n°455661, Sté HCL Maitre Pierre). Elle conduirait ainsi à devoir minorer le taux afin de prendre en compte la possibilité de conversion.
Cela étant, une telle correction n'est pas forcément automatique. Il a ainsi été jugé qu'il n'y a pas d'avantage spécifique procuré par la conversion lorsque les OCA ont été intégralement souscrites par des actionnaires liés détenant la totalité du capital de la société (CAA Paris, 17 mai 2024, n°22PA00072, Willink). Un tel ajustement serait ainsi seulement nécessaire si la conversion pourrait avoir une incidence sur la répartition du capital de la société émettrice.
Ce retraitement du taux des OCA semble logique mais n'est pas partagée de manière uniforme par les juges. En effet, cette position ne vaut qu'au niveau de l'émetteur de l'instrument obligataire et non au niveau du souscripteur qui ne pourra pas arguer du fait que l'instrument souscrit est assorti d'une possibilité de conversion pour justifier un taux plus faible (CE 16 novembre 2022, n°462383, EDF)
▶ Etape 3 - Rechercher si l’émission obligataire constitue une alternative réaliste
Cette dernière condition n’a pas véritablement été explicitée par les juges mais laissent sous-entendre que la société devra être en mesure de démontrer par exemple (i) l’impossibilité pour la société de s’endetter auprès d’un établissement de crédit compte tenu de sa situation financière (ii) ou encore la possibilité de recourir à un emprunt bancaire mais à des conditions défavorables. Il a en revanche été jugé que la taille d'une société ne suffit pas à écarter le caractère réaliste d'une émission obligataire par la société (CE, 5 avril 2024, n°471139, SAS GEII Rivoli Holding)
[1] Rapport de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2016, p. 349