
La structure d’endettement d’un LBO estgénéralement composée de différentes catégories de dettes (dette senior, dette subordonnée ou mezzanine, dette unitranche, high yield). La rémunération du financement obligataire peut être elle-même composée de trois éléments :
▶ un intérêt payé en numéraire tous les ans ;
▶ des intérêts capitalisés (PIK ou « payment in kind ») ;
▶ un « equity kicker » permettant aux détenteurs des obligations d’obtenir une partie de la plus-value de cession en cas de succès de l’opération. Il peut prendre par exemple la forme d’un bon de souscription d’actions (BSA) ou d’une conversion d’obligationsen actions (OC).
En principe, les charges d’intérêts doivent être rattachées, quelle que soit leur date de paiement, à l’exercice au cours duquel elles ont couru. La règle du couru s’applique indifféremment que les intérêts soient payés en une seule ou plusieurs échéances. Ceci s’appliquerait alors aussi bien aux intérêts effectivement payés qu’aux intérêts capitalisés. Il convient néanmoins d’étudier plus en détail la spécificité de la déduction des intérêts afférents à certains types de valeurs mobilières.
Les obligations convertibles
Dans le cadre d’un montage LBO classique, une holding peut émettre des OC qui peuvent être souscrites par certains de ses associés. Le contrat d’émission des OC prévoit alors généralement le versement d’un intérêt annuel[1](capitalisé ou non) et d’une prime de non-conversion versée aux souscripteurs en cas de renonciation à la conversion de leurs obligations.
La déductibilité des intérêts (cash ou capitalisés) ne soulève pas de difficultés particulières. Ces derniers sont déductibles au titre de l'exercice au cours duquel ils sont dus, en application de la règle du couru.
Au plan comptable, la comptabilisation de cette prime peut se faire de deux manières :
▶ comptabilisation de la prime pour sa totalité et amortissement sur la durée de l’emprunt ;
▶ inscription au bilan de la société du montant nominal de l’emprunt et constitution, prorata temporis, d’une provision cristallisant le risque de versement de la prime.
Ces deux méthodes peuvent être indifféremment adoptées. Toutefois, en présence d’une prime de non-conversion variable, comme par exemple une prime dont le montant dépend de la réalisation d’un taux de rendement interne, les autorités comptables (CNCC) ont estimé qu’il était préférable pour la société émettrice de comptabiliser une provision pour risques à caractère financier (CNCC, EC 2018-07, juillet 2018). On peut néanmoins noter que les avis du CNC ou du CNCC n'ont pas de valeur réglementaire et donc de force obligatoire (CE, 2 juin 2006, n°269997, Sté Lever Faberger France).
Sur le plan fiscal, cette faculté de choix comptable a été reconnue par le juge de l’impôt. Ainsi, le traitement comptable retenu par la société émettrice constitue une décision de gestion opposable tant au contribuable (CE, 20 juin 2016, n°361832, Gecina) qu’à l’Administration fiscale (CE 13 juillet 2011, n°311844, Mumm). Dans cette dernière décision, le Conseil d’Etat a d'ailleurs confirmé la déductibilité fiscale des amortissements de la PNC.
Il ressort de ces éléments que la déductibilité d’une PNC repose, en principe, sur les règles de droit commun applicables en la matière. En effet, s’il existe des règles spécifiques de déductibilité des intérêts (incluant la prime de remboursement / non-conversion) selon la technique des annuités actuarielles de certains prêts reposant sur des valeurs mobilières composées comme par exemple des obligations à bons de souscription d’actions (OBSA) ou une obligation à coupon unique (article 39, 1, 1° ter du Code Général des Impôts), ces règles ne sont pas applicables aux OC ainsi qu’aux OBSA lorsque les clauses du contrat permettent d’amortir l’emprunt par la remise d’actions chaque fois que le bon est exercé.
C’est donc en se basant sur les règles de droit commun que l’Administration fiscale tente de remettre en cause la déductibilité de cet amortissement sur la base des règles venant limiter le taux d’intérêt pour les emprunts consentis par les associés. Les intérêts sont déductibles à hauteur du taux légal (5,87% pour les sociétés ayant clôturé leurs comptes au 30 décembre 2024). L'Administration a considéré que l’amortissement de la PNC pouvait s’assimiler à la rémunération d’une avance consentie par un associé dont la déduction est plafonnée au taux légal prévu à l’article 39,1,3° du CGI.
Une telle application des textes serait très préjudiciable dans le cadre de montages LBO. En effet, le taux d’intérêt légal des obligations convertibles serait apprécié en prenant non seulement en compte les intérêts mais également la PNC.
Or, avec les difficultés rencontrées pour se prévaloir du taux de marché, une telle analyse conduirait de facto à refuser la déductibilité de l’amortissement (ou de la provision) pratiqué au titre de l’OC.
Dans une affaire soumis aux juges, la société a décidé d’amortir cette prime d’émission conformément aux règles comptables au titre d’une OC souscrite par un associé minoritaire. Sur le plan fiscal, la dotation à l’amortissement a également été déduit.
L'Administration a réintégré au résultat fiscal de la société la fraction des intérêts et de l'amortissement excédant le taux légal prévu à l'article 39, 1 du CGI. La CAA de Paris (CAA 20 juin 2018, 17PA03248, Iprad Group) n’a pas été de cet avis puisqu’elle a considéré que cet amortissement ne peut être considéré comme une rémunération servie aux associés tant que la décision de ne pas convertir n’est pas intervenue et ne peut donc être visé par les règles venant plafonner le taux d’intérêt, cet arrêt ayant depuis été confirmé par le Conseil d'Etat (CE 13 novembre 2020, n°423155, Sté Iprad Group). En d’autres termes, les dispositions de l'article 39, 1, 3° du CGI qui limitent la déductibilité des intérêts versés aux associés ne s'appliquent pas à l'amortissement de la prime de remboursement d'une obligation convertible.
En revanche, la dotation de l’amortissement réalisée au cours de l’année où la prime serait versée serait pris en compte puisque dans ce cas précis la prime serait bien versée au souscripteur. Dès lors, l’amortissement réalisé au titre de la PNC serait très faiblement impacté par les règles venant limiter le taux d’intérêt puisque limitée à la fraction de la prime courue du 1er janvier de l'exercice jusqu'à la non-conversion.
Une position identique devrait également être adoptée si la société décide de constituer une provision au titre du risque de versement de la PNC. C'est d'ailleurs la position qui a été adoptée par le Tribunal administratif de Paris (TA Paris 3 juillet 2019 n° 1711841). Cette provision devrait être déductible sous réserve que la probabilité pour la société d’avoir à la verser ne soit pas faible (CE 20 juin 2016, n°361832). Toutefois, dans ce cas précis, le versement de la PNC se traduirait par la reprise taxable de la provision et, corrélativement, par la constatation d’une charge financière correspondant à la PNC qui serait cette fois-ci prise en compte pour le calcul du taux d’intérêt.
Sur la base de cette jurisprudence, le traitement comptable de la PNC aurait alors une incidence sur sa déductibilité puisque l’amortissement de celle-ci conduirait à pouvoir la déduire du résultat fiscal sans limite particulière à raison du taux d’intérêt, alors que la constitution d’une provision en raison d’un risque probable de versement conduirait à l’inverse à un simple décalage de trésorerie (le gain fiscal réalisé pendant la constitution de la provision étant repris au moment de son versement).
Un dernier point mérite d’être soulevé : cette décision portait sur le cas d'un souscripteur qui était associé minoritaire de la société émettrice de l'OC. La solution serait- elle transposable à une entreprise liée (détenant, directement ou indirectement, la majorité du capital)?
A notre sens et sur la base de cette jurisprudence, la PNC ne devrait pas être prise en compte pour le calcul du taux d'intérêt applicable aux entreprises liées non associées puisque l'article 212 du CGI renvoie à l'article 39, 1, 3° du même code. Ainsi, le raisonnement suivi par la cour administrative d'appel de Paris devrait être transposable à la situation d'une émission d'OC souscrite par un associé majoritaire.
Or, face à la difficulté d’apporter la preuve demandée, cette jurisprudence pourrait, à notre sens, être utilisée pour faire en sorte que l’assiette des intérêts pris en compte pour le taux légal n’englobe que les intérêts cash / capitalisés et non la PNC, venant ainsi réduire les conséquences d’un éventuel redressement fiscal.
[1]L'article 39, 1, 1° ter du CGI pose les règles spécifiques de déduction des intérêts selon la technique des annuités actuarielles de certains prêts reposant sur des valeurs mobilières composées (ex. OBSA, obligation à coupon unique). Pour autant, certains prêts ne sont pas concernés par cette règle comme les obligations convertibles et les OBSA lorsque les clauses du contrat permettent d'amortir l'emprunt par la remise d'actions chaque fois que le bon est exercé. On en conclut que la déduction des charges afférentes aux obligations convertibles en actions relève des règles de droit commun