Le report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI) est un mécanisme central dans les opérations d’apport-cession. Il permet, sous conditions, de différer l’imposition de la plus-value constatée lors de l’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur.
Mais ce régime de faveur, bien que automatique dans son principe, impose un formalisme rigoureux. Faute de respecter certaines obligations déclaratives, le contribuable s’expose à de réelles difficultés, notamment en cas de contrôle.
Le principe du report d’imposition en cas d’apport-cession
Lorsqu’un contribuable apporte des titres à une société qu’il contrôle (généralement une holding), la plus-value d’apport est placée en report d’imposition de plein droit (CGI, art. 150-0 B ter, I). Ce report peut prendre fin :
- en cas de cession, dans un délai de trois ans, des titres reçus en échange de l’apport ;
- sauf si la société bénéficiaire s’engage à réinvestir au moins 60 % du produit de cession dans une activité économique éligible, dans un délai de deux ans.
Ce mécanisme repose donc sur un équilibre : avantage fiscal immédiat contre obligations futures précises.
Des obligations déclaratives strictes pour l’apporteur
Le contribuable qui bénéficie du report doit :
- déclarer la plus-value placée en report l’année de l’apport (formulaires 2042 + 2074) ;
- répéter cette déclaration chaque année, tant que le report est en cours.
Quelles conséquences en cas de défaut de déclaration ?
- Le défaut de déclaration ne fait pas obstacle à l’application du report, qui est automatique dès lors que les conditions sont remplies.
- En revanche, il prolonge le délai de reprise (la prescription ne court pas tant que l’administration n’est pas informée).
- Et surtout, il fragilise considérablement la position du contribuable : en cas de contrôle, il lui reviendra de prouver que les conditions du report ont bien été respectées.
⚠️ Aucune sanction spécifique n’est prévue par le CGI, mais les risques contentieux sont bien réels.
Le formalisme renforcé à la charge de la société bénéficiaire (la holding)
Depuis le décret du 22 février 2016, un formalisme strict encadre les obligations de la société qui bénéficie de l’apport :
- L’année de la cession des titres reçus : la société doit joindre à sa liasse fiscale une attestation d’engagement de remploi (ou mentionner son absence) ;
- Dans les deux ans suivant cette cession : elle doit produire une attestation de réalisation du remploi, précisant la nature, la date et le montant des investissements.
Quel risque en cas de manquement ?
Même si un remploi effectif a été réalisé, l’absence de ces attestations peut conduire à la remise en cause du report d’imposition dès l’année de la cession. Ce n’est donc pas la réalité économique de l’opération qui est niée, mais le défaut de respect du formalisme légalement exigé.
Quelle est la position de la jurisprudence récente ?
À ce jour, aucune juridiction n’a admis de tolérance pour des manquements déclaratifs affectant des opérations postérieures au décret du 22 février 2016.
Trois décisions récentes méritent d’être mentionnées :
- ✅ CAA Paris, 24 janvier 2025, n° 23PA05337
Admet, pour une opération antérieure au décret, que la preuve de l’engagement de remploi puisse être apportée par tout moyen, à condition qu’elle soit datée, crédible et cohérente. - ⚠️ CAA Nantes, 8 octobre 2024, n° 23NT03788
Rappelle qu’en l’absence de texte réglementaire à l’époque des faits (apport en 2013, cession en 2015), aucune obligation déclarative ne s’imposait encore formellement à la société bénéficiaire. - ⚠️ TA Montreuil, 30 avril 2024, n° 2204698
Constate la fin du report en l’absence d’engagement de remploi dans une opération de 2013. Le tribunal ne sanctionne pas une déclaration tardive mais l’absence d’engagement lui-même, même si l’imposition s’est révélée prescrite.
📌 Ces décisions confirment une chose : depuis l’entrée en vigueur du décret de 2016, le respect du formalisme est devenu une condition déterminante pour bénéficier du report.
Bonnes pratiques à adopter
🔹 Côté apporteur :
- Ne jamais omettre la déclaration initiale de la plus-value ;
- Assurer un suivi annuel tant que le report court ;
- Conserver les justificatifs de l’opération.
🔹 Côté société holding :
- Joindre l’attestation d’engagement à la liasse dès l’année de la cession ;
- Délivrer l’attestation de remploi dans les deux ans ;
- Conserver une documentation précise et accessible pour tout contrôle ultérieur.
Conclusion : un régime de faveur exigeant mais sécurisable
L’article 150-0 B ter offre un avantage fiscal substantiel, mais il n’est pas sans contrepartie. Le respect des obligations déclaratives et des délais formels est indispensable pour sécuriser durablement le report d’imposition.
En cas d’omission ou d’oubli, une régularisation reste possible dans le délai de réclamation, mais elle suppose d’être proactif… et bien documenté.